Labat, 1742, Nouveau voyage, vol. 2

De Pl@ntUse
Version datée du 3 février 2016 à 10:51 par WikiSysop (discussion | contributions) (Page créée avec « Page principale : Labat, Jean-Baptiste == Bois amer == [392] Le bois amer est un assez grand arbre. j'en ai trouvé de plus de deux pieds de diamettre. Son écorce e... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche

Page principale : Labat, Jean-Baptiste

Bois amer

[392]

Le bois amer est un assez grand arbre. j'en ai trouvé de plus de deux pieds de diamettre. Son écorce est brune, hachée & fort épaisse. sa feüille est longue &

[393]

pointuë, d'un verd pâle, assez douce & peu épaisse. Le bois est d'un jaune clair qui se décharge en séchant & devient presque blanc : il est filasseux & leger. Il faut observer lorsqu'on le scie de se tenir toujours au vent, c'est-à-dire, qu'il faut se mettre dans une situation que le vent ne puisse pas vous jetter la poussiere au visage ; sans cette précaution la poussiere qui entre dans le nez & dans la bouche, y fait le même effet que si on avoit mâche ou pris de la rhubarbe en guise de tabac. On se sert ordinairement de ce bois pour faire des lattes, ou des planches minces pour cloüer l'ardoise, parce qu'il est leger, & qu'on est assuré qu'il ne sera jamais attaqué de ces insectes. L'acajou & le bois amer ont encore une autre qualité ; c'est de communiquer leur amertume à tout ce qu'on fait cuire à leur feu, soit qu'on le fasse cuire dans une marmite, ou qu'on le fasse rotir à la broche ou sur le gril. j'en ai fait l'expérience à mes dépens ; car un jour qu'on travailloit à la couverture de mon Presbytere au Macouba, & que j'avois envoyé mon Négre dehors, j'amassais des bouts de lattes de ce bois que je mis au feu, afin que l'absence du cuisinier n'ap-

[394]

portât aucun retardement au dîner de mes ouvriers ni au mien, mais je fus surpris quand le Négre fut revenu de l'entendre crier contre son camarade, qui étoit un petit Négre nouveau. Je lui en demandai la raison, & il me dit que le dîner étoit perdu, parce qu'on avoit mis du bois amer dans le feu. Je crus d'abord que c'étoit quelque superstition, à quoi les Négres aussi-bien que beaucoup d'autres gens sont assez portez, & je m'en mis peu en peine. Cependant comme il persistoit à dire la même chose, je goûtai le boüillon & la viande & je les trouvais amers comme du fiel. Les ouvriers à qui il importoit de dîner descendirent, on fit chauffer de l'eau, on échauda la viande, on la lava dans plusieurs eaux chaudes & froides: mais j'avois eu tant de soin de la faire cuire avec du bois amer, qu'il fut impossible même à mon chien d'en manger. Mes volailles réparerent ma faute aux dépens de leur peau. Je me suis assuré plus d'une fois de cette expérience, mais d'une maniere qui me portoit moins de préjudice.

Le bois que l'on appelle amer à la Martinique , se nomme Simarouba à Cayenne. C'est le nom Indien. Le frere du Soleil très-habile Apoticaire du Col-

[395]

lege des Jesuites à Paris, a fait connoître ce bois, & a fait des cures surprenantes avec ce bois pour les cours de ventre même invéterés, & pour les dissenteries les plus violentes.

La racine & la peau de la racine sont les meilleures parties de l'arbre. Il en faut prendre deux gros, les couper en esquilles, & les faire boüillir dans trois demie septiers d'eau que l'on fait réduire en une chopine. On partage cette quantité en trois verres dont on fait prendre le premier le matin à jeun, le second deux heures après avoir dîner, & le troisiéme deux heures avant souper. Il faut observer de ne pas manger des choses cruës ou indigestes, ni boire du vin blanc.

Il est rare qu'on ait besoin de plus de deux gros de ce remede, les plus invéterées dissenteries n'ont jamais tenu contre six gros pris en trois jours.