Thevet, Singularitez de la France antarctique

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Textes et illustrations concernant les plantes de l'ouvrage :

La pagination est faite par feuillets. C'est pourquoi nous distinguons le recto (r) et le verso (v).

Voir l'introduction sur André Thevet.

Arbre étrange

Arbre étrange, Thevet 1557, 18v. arbre à saucisses Kigelia africana ou baobab Adansonia digitata ?
[18r]
En l'une de ces îles [du Cap-Vert]


[19r]
se trouve un arbre, lequel porte fueilles semblables à celles de noz figuiers, le fruit est long de deux pieds ou environ, & gros en proportion, approchant des grosses & longues coucourdes de l'isle de Cypre. Aucuns mangent de ces fruits, comme nous faisons de sucrins & melons ; et au-dedans de ce fruit est une graine faite à la semblance d'un rognon de lievre, de la grosseur d'une fèbve.
Quelques-uns en nourissent les singes, les autres en font colliers pour mettre au col ; car cela est fort beau quand il est sec & assaisonné.

Vin de palme

[19r]

[Sénégal] … des palmiers & du vin & bruvage que les Sauvages noirs ont appris d'en faire, lequel en leur langue ils appellent, Mignol.

[emprunté à Alvise Ca' da Mosto, Navigatio ad terras incognitas, 1532 (Voyages en Afrique noire, 1455 et 1456), ch. XXVI, p. 24 : succus appellatur mignol.]

[20v] L'arbre ouvert avec quelque instrument, comme à mettre le poin, à un pied ou deux de terre, il en sort une liqueur, qu'ils reçoivent en un vaisseau de terre de la hauteur de l'ouverture, & la reservent en autres vaisseaux pour leur usage.

Et pour la garder de corruption, ils la salent quelque peu, comme nous faisons le verjus par deça : tellement que le sel consume ceste humidité cruë estant en cette liqueur, laquelle autrement ne se pouvant cuire ou meurir, nécessairement se corromprait. Quant à la couleur & consistance, elle est semblable aux vins blancs de Champagne & d'Anjou ; le goust fort bon et meilleur que les citres de Bretagne. Ceste liqueur est tres propre pour refreschir et desalterer, à quoy ils sont subjets pour la con-


[21]

tinuelle & excessive chaleur. Le fruict de ces palmiers, sont petites dattes, aspres et aigres, tellement qu'il n'est facile d'en manger : néantmoins que le jus de l'arbre ne laisse à estre fort plaisant à boire ; aussi en font estime entre eux, comme nous faisons des bons vins.

Vin de palme, Thevet 1557, 20v.

Hetich

Hetich, Thevet 1557, 53r. patate douce Ipomoea batatas
[52v]
Si on leur ["les sauvages"] tient propos de Dieu, comme quelquefois j'ai fait, ils escouteront attentivement, avec une admiration : & demanderont si ce n'est point ce prophete, qui leur a enseigné à planter leurs grosses racines, qu'ils nomment Hetich. Et tiennent de leurs pères qui avant la congnoissance de ces racines, ils ne vivoient que d'herbes comme bestes, & de racines sauvages. Il se trouva, comme ils disent, en leur païs un grand Charaïbe, c'est à dire Prophete, lequel, s'adressant à une jeune fille, luy donna certaines grosses racines, nommées Hetich, estant semblables aux naveaux Lymosins, lui enseignant qu'elle les mist en morceaux, &t puis les plantast en terre : ce qu'elle fist : & depuis ont ainsi de pere en fils tousiours continué. Ce que leur a bien succedé, tellement qu'à present ils en ont si grande abondance, qu'ils ne mangent guères autre chose : & leur est cela commun ainsi que le pain à nous. D'icelle racine s'en trouve deux especes de mesme grosseur. La premiere en cuisant devient jaulne comme un coing : l'autre blanchatre. Et ces deux especes ont la feiulle semblable à la mauve : & ne portent jamais graine. Parquoy les Sauvages replantent la mesme racine couppée par rouelles, comme l'on fait les raves par deça, que l'on met en sallades, & ainsi replantées, multiplient abondamment.
Et pource qu'elle est incongnuë à nos medecins et arboristes de par deça, il m'a semblé bon vous la representer selon son naturel.

Pacouere

[61r]

Cet arbre donc que les sauvages nomment Paquouere, est par aventure le plus admirable qui se trouva oncq'. Premièrement il n'est pas plus haut de terre jusques aux branches, qu'une brasse ou environ, & de grosseur autant qu'un homme peut empoigner de ses deux mains : cela s'entend, quand il est venu à juste croissance : & en est la tige si tendre, qu'on la coupperoit aisément d'un cousteau. Quant aux fueilles, elles sont de deux pieds de largeur, & de longueur une brasse, un pié et quatre doigts ; ce que je puis asseurer de vérité.

J'en ay vu quasi de cette mesme espece en Egypte et en Damas retournant de Jérusalem : toutesfois la fueille n'approche à la moitié pres en grandeur de celles de l'Amerique. Il y a davantage grande difference au fruit : car celuy de cest arbre dont nous parlons, est de la longueur d'un bon pié, c'est à sçavoir le plus long, & est gros comme un concombre, y retirant asses bien quant à la façon.

Ce fruit qu'ils nomment en leur langue Pacona, est tres-bon venu à maturité & de bonne concoction. Les Sauvages le cuillent avant qu'il soit justement meur, lequel ils portent puis apres en leurs logettes, comme l'on fait


[62r]

les fruits par-deça. Il croist en l'arbre par monceaux, trente ou quarante ensemble, & tout aupres l'un de l'autre, en petites branches qui sont pres du tronc : comme pouvez voir par la figure que j'ay fait représenter cy-dessus.

Et qui est encore plus admirable, cest arbre ne porte jamais fruit qu'une fois. La plus grande part de ces Sauvages, jusques bien avant dans le païs, se nourrist de ce fruit une bonne partie du temps.

Pacouere, Thevet 1557, 62r. Musa paradisiaca

Ariry

[62r]

La plus grande part de ces Sauvages, jusque bien avant dans le pays, se nourrit […] d'un autre fruit, qui vient par les champs, qu'ils nomment Hoyriri, lequel à voir pour sa façon & grandeur, l'on estimeroit être produit en quelque arbre : toutesfois il croist en certaine herbe, qui porte fueille semblable à celle de palme tant en longueur que largeur. Ce fruit est long d'une paulme, en façon d'une noix de pin, sinon qu'il est plus long. Il croist au milieu des fueilles, au bout d'une verge toute ronde : & dedans se trouve comme petites noisettes, dont le noyau est blanc & bon à manger, sinon que la quantité (comme est de toutes choses) offense le cerveau : laquelle force l'on dit estre semblable en la coriandre, si elle n'est préparé ; pareillement si l'autre estoit ainsi préparé, peut-estre qu'il depouilleroit ce vice. Neantmoins les Ameriques en mangent, les petits enfans principalement. Les champs en sont tout pleins à deux lieuës du cap de Frie, aupres de grands marescages, que nous passames après avoir mis pié à terre à nostre retour.

Ahouaï

[66r]

S'il advient pareillement qu'aucun d'entre eux aye indignation ou querelle contre son prochain, ils ont de coustume de se retirer vers ces Pagés, affin qu'ils fassent mourir par poison celuy ou ceux auxquels ils veulent mal. Entre autres choses ils s'aident d'un arbre nommé en leur langue Ahouaï, portant fruit vénéneus et mortel, lequel est de la grosseur d'une chastaigne moyenne, & est vray poison, specialement le noïau. Les hommes pour légère cause estant courroucez contre leurs femmes leur en donnent, & les femmes aux hommes. Mesmes ces malheureuses femmes, quand elles sont enceintes, si le mari les a faschées, elles prendront au lieu de ce fruit certaine herbe pour se faire avorter. Ce fruit blanc avec son noïau est fait comme un Δ delta, lettre des Grecs. Et de ce fruit les Sauvages, quand le noïau est dehors, en font des sonnettes qu'ils mettent aux jambes, lesquelles font aussi grand bruit comme les sonnettes de par deça.

Les Sauvages pour rien ne donneroient de ce fruit aux estrangers, estant fraiz cuilly, mesmes defendent à leurs enfans y attoucher aucunement, devant que le noïau en soit osté. Cest arbre est quasi semblable en hauteur à noz poiriers. Il a la fueille de trois ou quatre doigts de longueur, & deux de largeur, verdoyante toute l'année. Elle a l'escorce blanchastre. Quand on en couppe quelque branche, elle rend un certain suc blanc, quasi comme laict. L'arbre couppé rend une odeur merveilleusement puante. Parquoy les Sauvages n'en usent en aucune sorte, mesmes n'en veulent faire feu.

Ahouaï, Thevet 1557, 66v. Thevetia ahouai

Haïri

Haïri, Thevet 1557, 72v. Astrocaryum aculeatissimum
[72r]

Leurs arcs sont la moitié plus longs que les arcs Turquois, & les flesches à l'equipollent, faites les unes de cannes marines, les autres du bois d'un arbre, qu'ils nomment en leur langue Haïri, portant fueillage semblable au palmier, lequel est de couleur de marbre noir, dont plusieurs le disent estre Hebene : toutesfois il me semble autrement, car vray Hebene est plus luysant. Davantage l'arbre d'Hebene n'est semblable à cestui ci, car cestui ci est fort espineux de tous costez : joint que le bon Hebene se prend au païs de Calicut, & en Ethiopie. Ce bois est si pesant qu'il va au fons de l'eau, comme fer : pourtant les Sauvages en font leurs espées à combatre. Il porte un fruit gros comme un esteuf et quelque peu pointu à l'un des bouts. Au dedans trouverez un noyau blanc comme neige : duquel fruit j'ay apporté grande quantité par deça. Ces Sauvages en outre font de beaux colliers de ce bois. Aussi est il si dur et si fort, (comme nous disions n'agueres) que les flesches qui en sont faites, sont tant fortes qu'elles perceroyent le meilleur corselet.